L’industrie automobile européenne sous pression : vers une stratégie industrielle allégée
Stellantis et Renault dénoncent la sur-réglementation en Europe face à la stratégie industrielle claire des États-Unis et à la concurrence croissante de la Chine.
Les dirigeants de Stellantis et Renault alertent sur l’impact de la sur-réglementation en Europe face aux politiques industrielles plus cohérentes des États-Unis et à la montée en puissance des constructeurs chinois.
Les dirigeants de Stellantis et Renault appellent l’Union européenne à recentrer sa politique industrielle. Face à une réglementation fragmentée et à une concurrence étrangère croissante, notamment chinoise, ils réclament une vision stratégique claire plutôt qu’un empilement de normes. John Elkann (Stellantis) et Luca de Meo (Renault) estiment que les États-Unis, sous l’impulsion de Donald Trump, ont su fixer des objectifs lisibles en matière de réindustrialisation automobile, malgré l’instabilité de leur mise en œuvre. À l’inverse, l’UE impose un ensemble de plus de 100 réglementations d’ici 2030, qui freinent la rentabilité, en particulier sur les segments des petits véhicules. En parallèle, les constructeurs européens subissent une demande intérieure stagnante et l’afflux de modèles chinois moins chers. Cette situation pourrait précipiter un décrochage structurel du secteur automobile européen si aucune réforme stratégique n’est engagée.

Un excès de réglementation qui déséquilibre l’industrie automobile
Les propos de John Elkann et Luca de Meo mettent en lumière un déséquilibre croissant entre les ambitions environnementales européennes et la viabilité économique des fabricants automobiles. L’Union européenne prévoit plus de 100 nouvelles normes d’ici à 2030, réparties sur divers aspects : émissions, sécurité, recyclabilité, logiciels embarqués, etc. Cette accumulation réglementaire entraîne un coût structurel croissant pour les constructeurs.
Selon l’ACEA (Association des Constructeurs Européens d’Automobiles), le coût moyen de conformité par véhicule a augmenté de 25 % entre 2018 et 2023, avec un pic prévu à l’horizon 2026. Cela affecte particulièrement la rentabilité des petits modèles, traditionnellement vendus à marge réduite. Le paradoxe est que ces véhicules sont aussi les plus accessibles pour les consommateurs, et souvent les moins énergivores.
Pour Elkann, « moins de régulation permet de produire des voitures moins chères, donc plus accessibles ». Or, l’UE cible principalement les véhicules thermiques, avec une interdiction des ventes neuves à partir de 2035. Mais les modèles électriques restent, pour l’instant, 30 % plus chers à l’achat, en moyenne, que leurs homologues thermiques. Les réglementations actuelles ne prennent pas suffisamment en compte cet écart de coût, ni ses conséquences sociales.
L’absence de pauses réglementaires empêche également les constructeurs de planifier leurs investissements à long terme. De Meo souligne : « Nous voulons des paquets réglementaires, pas une règle nouvelle tous les trois mois ». Cette instabilité freine les cycles industriels, déjà ralentis par la reconfiguration des chaînes logistiques post-Covid.
Une stratégie industrielle absente face à des États-Unis plus assertifs
Elkann souligne une différence majeure : aux États-Unis, les intentions de politique industrielle sont claires. Sous Donald Trump, malgré une application parfois erratique, l’objectif affiché a été de relancer la production automobile domestique. Les réformes fiscales, la révision du NAFTA (devenu USMCA), ou encore les incitations à la relocalisation des usines ont constitué des signaux lisibles pour les industriels.
En parallèle, l’Inflation Reduction Act (IRA), adopté sous Joe Biden, poursuit cette logique avec des subventions massives à la production nationale de véhicules électriques et de batteries. Les aides atteignent jusqu’à 7 500 dollars par véhicule, à condition que la production soit réalisée sur le sol américain. Cette approche favorise une capacité d’anticipation industrielle, que l’Europe peine à offrir.
Les conséquences sont visibles : les investissements étrangers dans le secteur automobile américain ont dépassé 80 milliards d’euros entre 2021 et 2023, contre 45 milliards pour l’UE sur la même période. En Europe, Stellantis a vu son action baisser de 24 % depuis janvier 2024, en raison de l’incertitude sur les barrières commerciales avec l’Amérique du Nord. Cela affecte directement la visibilité stratégique du groupe, qui assemble une part significative de ses véhicules au Mexique et au Canada.
Une pression accrue de la Chine sur le marché européen
Le principal enjeu évoqué par De Meo reste la concurrence chinoise. Entre 2020 et 2024, les importations de véhicules chinois vers l’Union européenne ont été multipliées par quatre, selon les données de la Commission européenne. Ces véhicules, principalement électriques, se positionnent à des prix inférieurs de 20 à 30 % aux modèles européens équivalents.
Les marques comme BYD, MG (groupe SAIC) ou encore NIO adoptent une stratégie agressive de pénétration du marché. En mai 2024, BYD a ouvert son premier centre de distribution européen en Hongrie, avec une capacité de 150 000 unités par an. Ces véhicules sont homologués en conformité avec les règles européennes, mais les coûts de production sont bien plus faibles, grâce à une chaîne d’approvisionnement intégrée, des subventions d’État et des coûts salariaux réduits.
Les constructeurs européens sont donc confrontés à une distorsion de concurrence sans dispositif de compensation suffisant. En 2023, les modèles chinois représentaient déjà 8 % des ventes de voitures électriques en France, contre seulement 2 % en 2021. Cette montée en puissance est facilitée par l’absence de barrières douanières strictes, contrairement aux États-Unis.
La réponse européenne est encore à l’étude, avec une enquête anti-subventions initiée par la Commission. Mais les effets sont lents, et les marques européennes n’ont pas le temps d’ajuster leur offre au rythme de cette concurrence.
Le cas des petits véhicules : un modèle menacé
De Meo insiste sur le fait que la réglementation européenne actuelle est déséquilibrée en faveur des gros véhicules. Les SUV, plus lourds et souvent mieux margés, absorbent plus facilement les coûts de conformité. À l’inverse, les citadines – cœur historique du marché européen – deviennent de moins en moins rentables.
La production d’une voiture compacte électrique (segment B) coûte aujourd’hui entre 22 000 et 26 000 euros à produire, contre 15 000 à 18 000 euros pour un modèle thermique équivalent. Le prix de vente moyen d’un véhicule électrique neuf en France est de 39 000 euros, hors bonus écologique. Même avec l’aide à l’achat, la clientèle traditionnelle des petits modèles est écartée du marché.
Les constructeurs réduisent donc leur offre : Peugeot a annoncé l’arrêt de la 208 thermique à partir de 2026. Volkswagen a différé son projet de ID.2, pourtant annoncé comme le modèle d’entrée de gamme électrique.
Le risque est une désaffection structurelle des ménages modestes pour les véhicules neufs. Cette fracture pourrait également ralentir la transition vers l’électrique si aucun modèle accessible n’est proposé. Or, ce sont précisément ces clients qui constituent les volumes indispensables à la transformation industrielle du secteur.

Vers une révision de la politique industrielle européenne ?
Les déclarations de Elkann et De Meo relancent un débat fondamental : quel avenir pour la production automobile européenne ? Si l’objectif climatique de 2035 est maintenu, il reste nécessaire de créer un cadre cohérent, qui articule compétitivité, anticipation réglementaire et sécurité économique.
Plusieurs leviers sont identifiés :
- Regrouper les réglementations en paquets lisibles et planifiés.
- Simplifier l’homologation pour les petits véhicules.
- Accroître les aides à l’industrialisation locale, notamment pour les batteries.
- Renforcer les mesures anti-dumping à court terme.
L’absence de stratégie unifiée pourrait entraîner une désindustrialisation progressive, accentuée par la concurrence des États-Unis et de la Chine. La fenêtre de transformation industrielle est réduite à moins d’une décennie, et l’inaction pourrait avoir des effets irréversibles.
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