Qui pour emmener Renault vers le futur ?
Renault s’apprête à nommer un PDG par intérim après le départ de Luca de Meo. La transition s’annonce délicate pour le groupe.
Le départ annoncé de Luca de Meo de la direction de Renault, prévu pour le 15 juillet 2025, oblige le constructeur à nommer rapidement un PDG intérimaire, faute d’avoir finalisé le recrutement d’un successeur permanent. Trois noms sont évoqués : Denis Le Vot (Dacia), François Provost (achats, partenariats et affaires publiques) et Maxime Picat (ex-Stellantis). Le cabinet Russell Reynolds est chargé de la sélection, alors que le groupe traverse une phase de fragilité stratégique. La transition devra gérer les attentes de l’État français (principal actionnaire), la poursuite de la stratégie De Meo et les pertes sur la participation dans Nissan. Le contexte économique tendu et les équilibres internes rendent cette phase particulièrement sensible.
Une transition précipitée après l’annonce de Luca de Meo
Le départ de Luca de Meo, annoncé à la mi-juin 2025, a surpris la direction de Renault. Ce départ intervient quelques jours seulement après la présentation de la nouvelle feuille de route stratégique du groupe. En rejoignant Kering, l’Italien quitte un secteur industriel pour un acteur du luxe, bouleversant ainsi les équilibres au sommet de l’entreprise.
Renault doit gérer cette transition dans un calendrier contraint. Le conseil d’administration vise une nomination intérimaire d’ici le 15 juillet, date du départ effectif de De Meo. Cette contrainte temporelle pèse sur la gouvernance du groupe, d’autant que la sélection d’un successeur permanent demande un temps d’analyse et de validation incompatible avec les exigences de l’été.
Le recours au cabinet Russell Reynolds Associates témoigne de la volonté de professionnaliser et d’accélérer le processus. Mais malgré ce soutien externe, aucune décision ferme n’a été prise à ce jour, et le flou persiste quant au profil définitif retenu.
Cette précipitation intervient dans un contexte où Renault affiche des performances commerciales supérieures à celles de plusieurs grands constructeurs européens, grâce à une moindre exposition aux marchés chinois et nord-américains. Néanmoins, les signaux stratégiques demeurent contradictoires, avec une action en baisse de 6 % depuis l’annonce du départ de De Meo. Cela traduit une perte de confiance des marchés et une attente forte sur le futur cap de l’entreprise.
Un trio de candidats internes pour un intérim stratégique
Trois profils se dégagent comme candidats potentiels à l’intérim :
- Denis Le Vot, actuel patron de Dacia, est crédité d’un solide bilan. Il a transformé la marque à bas coûts en un pôle de rentabilité stable pour Renault. Sa gestion du retrait de Russie, couplée à sa maîtrise des chaînes d’approvisionnement, en fait un profil opérationnel solide dans une période incertaine.
- François Provost, responsable des achats, des partenariats et des affaires publiques, possède un ancrage institutionnel fort. Il connaît bien les relations gouvernementales, élément clé alors que l’État français détient aujourd’hui 15 % du capital, soit la première participation de référence au sein du groupe.
- Maxime Picat, ancien dirigeant de Stellantis, récemment écarté de la course à la succession de Carlos Tavares, incarne une ouverture extérieure. Son départ du groupe franco-italo-américain le rend disponible, mais son arrivée pourrait être perçue comme une remise en cause implicite de l’héritage De Meo.
Le choix d’un profil interne apparaît plus probable à court terme. Renault cherche à éviter une transition prolongée, comme celle vécue par Stellantis, qui a mis plus de six mois à désigner Antonio Filosa. L’objectif est de stabiliser rapidement la direction pour éviter un cycle d’immobilisme décisionnel.
Mais la nomination d’un intérimaire ne réglera pas l’enjeu central : celui d’un projet stratégique pérenne à poursuivre ou à redéfinir. Le futur dirigeant devra s’approprier une vision conçue par un prédécesseur, tout en l’ajustant aux pressions du marché et aux priorités industrielles.

Une stratégie héritée à maintenir ou à réorienter
Sous la direction de De Meo, Renault avait initié une reconfiguration profonde de son modèle, combinant réduction des coûts, repositionnement technologique et développement de partenariats structurants. La stratégie reposait sur plusieurs piliers :
- Accélération de l’électrification, avec un recentrage sur l’Europe.
- Création de Ampere, entité dédiée aux véhicules électriques, introduite en bourse.
- Refonte de l’alliance avec Nissan, avec une réduction progressive de la participation croisée.
Le nouveau dirigeant devra gérer l’atterrissage de cette stratégie, avec en priorité :
- La montée en puissance industrielle de la Renault 5 électrique, prévue pour fin 2025.
- La consolidation du projet Ampere, confronté à la pression concurrentielle de Tesla, BYD et des constructeurs chinois.
- L’évolution du partenariat avec Nissan, aujourd’hui reconfiguré autour d’une participation réduite à 10 % (contre 43 % auparavant).
La situation est d’autant plus délicate que Renault a annoncé la dépréciation comptable de 9,5 milliards d’euros sur sa participation dans Nissan, suite à un changement de méthode d’évaluation. Cette perte « non cash » fragilise l’actif comptable de Renault, tout en soulignant la faiblesse stratégique de l’alliance actuelle.
Ces éléments imposent au futur PDG une stabilité immédiate, mais également une réflexion structurelle sur la pertinence du modèle hybride mis en place par De Meo. Entre filialisations internes, recentrage sur l’électrique, et complexité actionnariale, la feuille de route est tout sauf figée.
Des contraintes politiques fortes et une pression du marché
Renault est aujourd’hui confronté à un enjeu politique important : la place de l’État dans ses décisions stratégiques. L’Agence des participations de l’État (APE) est désormais le principal actionnaire. À ce titre, elle joue un rôle central dans la validation du futur dirigeant.
Or, le profil retenu devra composer avec une double contrainte :
- Répondre aux exigences industrielles françaises, notamment en matière de production locale, d’emploi et de transition énergétique.
- Maintenir l’indépendance du groupe vis-à-vis des pressions gouvernementales, afin de préserver sa compétitivité dans un secteur automobile globalisé.
La relation État-industrie est particulièrement sensible dans le cas Renault, car le groupe est historiquement perçu comme un acteur stratégique national, notamment depuis sa nationalisation partielle en 1945. Toute orientation nouvelle devra donc être validée à la fois par les marchés et par les responsables publics, ce qui réduit la marge de manœuvre du futur dirigeant.
Enfin, le contexte macroéconomique alourdit les incertitudes. Le ralentissement de la demande automobile en Europe, combiné à la pression des normes environnementales et à la montée en puissance des acteurs asiatiques, laisse peu de marges à l’erreur.
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