Renault encaisse une perte de 9,5 milliards sur Nissan
Renault enregistre une perte de 9,5 milliards d’euros sur sa part dans Nissan en raison d’un changement comptable lié à la chute du titre du constructeur japonais.
Renault subit une perte exceptionnelle de 9,5 milliards d’euros sur sa participation dans Nissan, conséquence d’un ajustement comptable imposé par les normes IFRS. Ce recalcul reflète la dépréciation de l’action Nissan, en recul de près de 40 % sur un an, alors que le groupe français réduit progressivement sa participation historique. Le retrait progressif de Renault, initialement actionnaire à hauteur de 43 %, vise une cible de 10 %, mais la valorisation en chute de Nissan complique la cession. Malgré cette perte non monétaire, Renault affirme que sa stratégie opérationnelle et ses dividendes ne sont pas affectés. L’annonce intervient alors que Luca de Meo quitte la direction de Renault, en pleine transformation. En parallèle, Nissan mène un plan drastique de restructuration, avec 20 000 suppressions de postes et des fermetures d’usines, ce qui alimente l’incertitude sur la viabilité du partenariat franco-japonais.
Une perte comptable massive liée à un ajustement IFRS
La perte de 9,5 milliards d’euros enregistrée par Renault découle d’un changement dans le traitement comptable de sa participation dans Nissan, en conformité avec les règles IFRS (International Financial Reporting Standards). Il s’agit d’une perte non monétaire : aucun flux de trésorerie n’est directement affecté. Elle résulte d’un ajustement de la valorisation de la participation au cours de bourse actuel, qui reflète la dégradation continue de la capitalisation de Nissan.
La part de Renault dans Nissan s’élève encore à 36 %, dont 18,7 % sont placés dans un trust français en attente de cession. L’objectif est de ramener cette participation à 10 %, seuil désormais défini comme équilibre stratégique dans la nouvelle architecture capitalistique de l’alliance.
Cette dépréciation comptable n’affecte ni les dividendes versés par Renault, ni sa trésorerie, mais elle fragilise la valorisation de ses actifs et pourrait impacter la perception du marché sur sa solidité financière. Pour mémoire, les normes IFRS imposent que les participations non consolidées soient évaluées à leur juste valeur, c’est-à-dire à la valeur de marché, ce qui oblige Renault à comptabiliser l’écart comme une perte.
Une sortie progressive du capital Nissan en terrain instable
Le désengagement stratégique de Renault du capital de Nissan s’inscrit dans une reconfiguration de l’alliance fondée en 1999. À l’époque, Renault détenait jusqu’à 43,4 % du constructeur japonais. La restructuration entamée ces dernières années vise à créer un partenariat plus équilibré, notamment par une réduction croisée des participations.
Mais cette démarche s’avère difficile dans un contexte où le cours de Nissan a perdu près de 40 % sur un an. Cette chute freine la cession des actions placées en trust, car vendre aujourd’hui signifierait cristalliser une moins-value importante. En d’autres termes, plus Renault attend, plus elle pourrait voir fondre encore la valeur résiduelle de sa participation.
L’effondrement de la valorisation de Nissan pose également un problème de réputation et de gouvernance : comment justifier auprès des actionnaires d’avoir maintenu une telle exposition à un actif aussi volatil ? La question est d’autant plus sensible que l’alliance Renault-Nissan a longtemps été présentée comme un axe stratégique majeur, y compris au plus haut niveau de l’État français.

Le départ de Luca de Meo fragilise la continuité stratégique
L’annonce de cette perte exceptionnelle intervient dans un contexte de changement brutal de gouvernance. Le départ de Luca de Meo, désormais nommé chez Kering, crée une incertitude quant à la continuité de la stratégie de Renault.
Sous sa direction, le constructeur était parvenu à renverser une dynamique déficitaire pour atteindre une marge opérationnelle record, notamment grâce à une restructuration profonde et une montée en gamme maîtrisée. Son départ intervient alors qu’il s’apprêtait à présenter la phase 2 de son plan de croissance, axée sur l’électrification accélérée et la rationalisation industrielle.
L’impact boursier a été immédiat : à l’annonce de son départ, le titre Renault a chuté, traduisant une perte de confiance des marchés. L’accumulation des signaux négatifs – changement de gouvernance, perte comptable massive, fragilité de l’alliance avec Nissan – pourrait peser sur les capitaux propres et la capacité d’investissement du groupe.
Nissan, un partenaire sous tension en restructuration profonde
De son côté, Nissan traverse une période de restructuration sévère sous la direction de son nouveau PDG Ivan Espinosa. Le plan en cours prévoit :
- Fermeture de 7 usines sur un total de 17 à l’échelle mondiale,
- Suppression de 20 000 postes,
- Réduction de capacité de production,
- Coupes de coûts avec des retards de paiement aux fournisseurs pour préserver la trésorerie.
Parmi les décisions marquantes, Nissan a lancé un plan de départs volontaires au Royaume-Uni, avec 250 suppressions de postes à Sunderland, un site historiquement stratégique pour la marque.
En parallèle, des discussions de fusion avec Honda ont été amorcées puis abandonnées. Renault avait encouragé Nissan à négocier une prime plus élevée, espérant valoriser indirectement sa propre participation. L’échec de cette opération complexifie aujourd’hui la sortie ordonnée de Renault, qui comptait sur cette consolidation pour monétiser une partie de ses parts.
La stratégie actuelle de Nissan montre une volonté de redéfinir son modèle industriel, mais la situation financière du groupe reste fragile. Cela a un impact direct sur la capacité de Renault à se désengager sans pertes supplémentaires.
Conséquences financières et industrielles pour Renault
À court terme, cette perte comptable et la dégringolade de Nissan pèsent sur les résultats consolidés de Renault. Même si la perte est non monétaire, elle influence :
- La perception des analystes financiers,
- Les notations de crédit,
- La valorisation de l’entreprise sur les marchés.
En outre, Renault voit s’amenuiser son levier stratégique sur Nissan, sans pouvoir valoriser correctement sa participation. Le risque est également de ralentir l’exécution de projets communs (plateformes partagées, mutualisation logistique, etc.), dans un contexte où l’électrification impose une forte intensité capitalistique.
La perte de 9,5 milliards vient aussi effacer une partie des bénéfices accumulés ces deux dernières années, créant un effet d’optique sur la santé du groupe. Cela pourrait contraindre Renault à ralentir certains investissements, notamment dans les batteries, les gigafactories et les logiciels embarqués, pourtant centraux pour rester compétitif à l’horizon 2030.
Une alliance structurellement affaiblie
L’alliance Renault-Nissan-Mitsubishi, déjà affaiblie par les crises passées (Carlos Ghosn, différends industriels, divergences stratégiques), semble aujourd’hui structurellement en retrait. La réduction croisée des participations traduit une volonté d’autonomisation plus que de convergence.
Cette logique pourrait avoir des effets durables :
- Moins d’économies d’échelle sur les plateformes et les chaînes d’approvisionnement,
- Risque de duplication d’efforts sur l’électrification et les logiciels,
- Moins de poids face aux concurrents chinois et américains.
Il faut aussi considérer la position de l’État français, actionnaire de Renault, dans cette recomposition. Un retrait trop rapide pourrait être perçu comme un désengagement stratégique, au moment même où la souveraineté industrielle devient un enjeu prioritaire en Europe.
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