Renault face à la justice pour manipulation des tests diesel

Le parquet de Paris demande un procès pour tromperie aggravée contre Renault, accusé de manipulation des tests antipollution entre 2009 et 2017.

Le 11 juillet 2025, le parquet de Paris a officiellement requis le renvoi en correctionnelle du constructeur automobile Renault pour tromperie aggravée dans le cadre du scandale du Dieselgate. Cette procédure s’inscrit dans une série de poursuites entamées contre plusieurs grands groupes industriels européens accusés d’avoir manipulé les émissions polluantes de leurs véhicules diesel. Après Volkswagen, puis Peugeot-Citroën, c’est au tour de Renault d’être visé pour des faits présumés remontant à la période 2009-2017. Le parquet reproche à Renault d’avoir installé sur plusieurs de ses modèles des logiciels modifiant le comportement du moteur lors des tests d’homologation, permettant de respecter les seuils d’émissions imposés, sans que ces niveaux soient maintenus en usage réel. La justice s’appuie sur une enquête de la DGCCRF menée depuis 2016, qui a révélé des écarts importants entre les mesures obtenues en laboratoire et celles relevées en conditions normales de conduite. Ce dossier pourrait avoir des conséquences financières majeures pour Renault, avec déjà des centaines de parties civiles et un chiffre d’affaires incriminé évalué à plus de 16 milliards d’euros. Cet article explore en détail les éléments techniques du dossier, les risques juridiques encourus par Renault et les impacts industriels de cette affaire.

L’accusation technique : des moteurs calibrés pour les tests

L’enquête de la DGCCRF, menée à partir de 2016 et transmise au parquet en 2017, repose sur des soupçons de manipulation logicielle sur des moteurs diesel Euro 5 et Euro 6 fabriqués par Renault entre 2009 et 2017. Selon le rapport d’expertise, Renault aurait conçu des stratégies moteur visant à limiter artificiellement les émissions de NOx (oxydes d’azote) lors des cycles d’homologation, tout en laissant ces mêmes émissions dépasser les seuils réglementaires en conduite réelle.

Les moteurs en cause, notamment les 1.5 dCi et 1.6 dCi, équipant des modèles comme la Clio, la Mégane ou le Captur, sont accusés d’utiliser des cartographies moteur spécifiques. Ces cartographies auraient activé de manière temporaire les systèmes de dépollution — notamment l’EGR (recirculation des gaz d’échappement) ou le système SCR (réduction catalytique sélective) — uniquement dans des plages de température, de vitesse et de charge moteur correspondant aux tests officiels en laboratoire.

En circulation normale, selon les éléments du dossier, les émissions de NOx pouvaient dépasser de cinq à dix fois les limites imposées par les normes européennes. La norme Euro 5 fixait le seuil à 180 mg/km, abaissé à 80 mg/km avec Euro 6. Or certaines mesures sur route atteignaient 500 à 700 mg/km sur des véhicules pourtant homologués comme conformes.

Environ 900 000 véhicules seraient concernés par ces pratiques, pour un chiffre d’affaires estimé à plus de 16,85 milliards d’euros. Ces accusations placent Renault dans une position délicate sur le plan technique, d’autant plus que l’entreprise continue de nier toute stratégie volontaire de contournement des règles.

Les enjeux judiciaires et financiers pour Renault

Le parquet de Paris a requis un procès pour tromperie aggravée à l’encontre de Renault, sur la base des éléments rassemblés par la DGCCRF et d’analyses techniques indépendantes. Cette qualification implique que le constructeur aurait agi de manière consciente pour tromper à la fois les autorités de régulation et les consommateurs.

Jusqu’à présent, 381 parties civiles se sont constituées. Elles incluent des clients particuliers, des associations environnementales, ainsi que plusieurs collectivités locales telles que Paris, Grenoble et Montpellier. Celles-ci dénoncent des conséquences sanitaires et environnementales, ainsi que des pertes économiques liées à l’acquisition de véhicules non conformes.

En cas de condamnation, Renault s’expose à des amendes pénales significatives, proportionnelles au chiffre d’affaires concerné. À titre de comparaison, Volkswagen avait dû verser plus de 30 milliards d’euros dans le cadre du Dieselgate, principalement aux États-Unis. En France, les sanctions financières pourraient s’élever à plusieurs centaines de millions d’euros, sans compter les indemnisations éventuelles accordées aux parties civiles.

Par ailleurs, des poursuites individuelles pourraient viser d’anciens cadres ou dirigeants de l’entreprise. Le parquet n’a pas encore communiqué de noms, mais la logique judiciaire pourrait amener à identifier les responsables techniques ou décisionnaires des logiciels incriminés.

Renault maintient pour l’instant sa ligne de défense, affirmant que tous ses véhicules ont été homologués selon les règles européennes en vigueur à l’époque. Mais cette position devient de plus en plus difficile à tenir face à l’accumulation d’éléments à charge et à la pression judiciaire croissante.

Renault dieselgate

Les conséquences industrielles et commerciales pour le constructeur automobile

Au-delà des enjeux judiciaires, ce dossier risque de nuire durablement à la réputation du constructeur automobile. L’image de marque de Renault repose en partie sur une communication axée sur la responsabilité environnementale et la transition énergétique. Or cette affaire jette une lumière négative sur la sincérité de cet engagement.

D’un point de vue commercial, l’impact pourrait être significatif, notamment sur le segment des véhicules thermiques. Le marché européen est déjà en baisse sur les motorisations diesel, avec une part de marché passée de 52 % en 2015 à moins de 14 % en 2024. Cette affaire pourrait accélérer la désaffection du public pour les véhicules diesel, au détriment de Renault.

Sur le plan industriel, un procès pourrait entraîner des rappels massifs de véhicules, ou une obligation de mise à jour des logiciels embarqués. Ces opérations sont coûteuses, complexes à organiser, et nuisent à la confiance des clients. Elles exigent également des ressources techniques considérables que Renault devra mobiliser rapidement.

Enfin, sur le plan réglementaire, ce procès intervient à un moment stratégique. L’Union européenne s’apprête à appliquer les nouvelles normes Euro 7 dès 2027. Une condamnation judiciaire pourrait fragiliser la capacité de Renault à défendre ses positions face aux régulateurs européens, voire compliquer l’homologation de ses futurs modèles.

Le constructeur devra donc démontrer une transparence irréprochable, renforcer ses dispositifs de conformité et, surtout, accélérer sa conversion vers les motorisations électriques, plus compatibles avec les exigences environnementales actuelles.