Pourquoi les constructeurs reviennent aux boutons physiques

Les constructeurs automobiles reviennent aux boutons physiques face aux limites des écrans tactiles, pour des raisons de sécurité et d’usage.

Après une décennie de généralisation des écrans tactiles dans les habitacles, de plus en plus de constructeurs automobiles réintroduisent des commandes physiques. Initialement motivée par la simplification industrielle et la monétisation logicielle, cette transition vers le tout-écran s’avère peu compatible avec les besoins réels des conducteurs. En situation d’urgence, les boutons restent plus rapides et sûrs à utiliser. Des tests ont démontré que certaines fonctions nécessitent jusqu’à 44 secondes sur un écran contre 10 secondes avec des commandes classiques. En Asie, Xiaomi, BYD, Denza et Subaru font machine arrière. L’Europe impose aussi une nouvelle réglementation à horizon 2026 via l’Euro NCAP, obligeant les fonctions critiques à rester accessibles par bouton. Le coût du retour aux commandes physiques est marginal face aux risques liés à la sécurité et à la satisfaction client. Le bouton revient, car l’interface tactile a atteint ses limites fonctionnelles.

Une ergonomie numérique incompatible avec les besoins réels

Depuis les années 2010, les tableaux de bord se sont largement numérisés. Tesla a imposé un standard minimaliste, rapidement adopté par de nombreux concurrents, dont Volkswagen, Peugeot, Ford ou Hyundai. Cette tendance a déplacé la majorité des fonctions – climatisation, feux de détresse, dégivrage, audio – sur des interfaces tactiles.

Cette évolution répondait à plusieurs objectifs industriels. En supprimant les boutons physiques, les constructeurs réduisent les coûts d’assemblage, simplifient les chaînes de production, et alignent leurs véhicules sur le modèle économique des smartphones : vendre du matériel, puis générer du revenu par des options logicielles payantes, comme le chauffage des sièges, la navigation ou les commandes vocales. Les mises à jour à distance permettent également d’ajouter des fonctions sans passer en atelier.

Mais cette logique heurte le fonctionnement cognitif des conducteurs. Contrairement à une interface haptique, un écran requiert une attention visuelle. Le conducteur doit regarder l’écran, naviguer dans les menus, valider, ce qui détourne son attention de la route. En cas d’urgence, cette latence peut s’avérer critique.

Un test réalisé par le magazine suédois Vi Bilägare sur douze véhicules a démontré qu’un conducteur mettait en moyenne 44,6 secondes à accomplir des tâches simples sur un écran (changer la température, ajuster la radio), contre 10 secondes sur une voiture équipée de boutons traditionnels, comme une Volvo V70 de 2005.

Ce décalage a des conséquences directes sur la sécurité routière. Selon le Transport Research Laboratory britannique, la manipulation d’un écran tactile dégrade les temps de réaction plus sévèrement que l’alcool ou le cannabis. Le risque d’accident augmente mécaniquement.

La recherche ergonomique montre aussi que le corps humain repose sur la mémoire musculaire. Un bouton fixe, identifiable par le toucher, s’utilise sans détour visuel. Cette absence de friction est essentielle à la conduite sécurisée. Les écrans, eux, nécessitent un repositionnement constant des yeux et des mains.

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L’Asie initie le retour des boutons physiques

La prise de conscience est venue d’Asie. Des marques qui ont participé à la diffusion du tout-écran sont aujourd’hui à l’origine d’un retour aux commandes physiques. Xiaomi, BYD et sa filiale Denza montrent l’exemple.

La berline électrique Xiaomi SU7 propose une ligne de boutons magnétiques repositionnables sous l’écran central, permettant d’accéder rapidement aux fonctions critiques. BYD, de son côté, a réintroduit des commandes physiques sur la console centrale de son Sealion 05, un SUV électrique destiné au marché chinois.

Denza, qui appartient en partie à Mercedes-Benz, a revu l’intérieur de son monospace D9, remplaçant les panneaux tactiles par des interrupteurs classiques. Ce changement intervient après des retours utilisateurs exprimant des frustrations récurrentes.

Le Japon suit également ce mouvement. Subaru, après avoir tenté une interface entièrement tactile, revient dès 2025 à des boutons rotatifs sur la Outback 2026, un modèle stratégique pour l’Amérique du Nord. Cette décision fait suite à des remontées d’utilisateurs qui critiquaient la difficulté d’utilisation des commandes numériques en conduite.

L’Asie, souvent en avance sur l’interface digitale, illustre ici un changement de cap pragmatique. Elle anticipe les exigences de sécurité et les attentes d’une clientèle qui privilégie la fiabilité à l’effet de nouveauté.

Ce retour aux commandes classiques n’est pas isolé. Il témoigne d’un rééquilibrage entre technologie et ergonomie. Contrairement à une mode passagère, il repose sur l’analyse comportementale et la réduction des risques en conduite réelle.

L’Europe impose des normes pour forcer la réintroduction

L’évolution asiatique s’accompagne en Europe d’une pression réglementaire croissante. L’organisme Euro NCAP, en charge des évaluations de sécurité automobile sur le continent, a annoncé qu’à compter de 2026, les véhicules devront obligatoirement proposer des commandes physiques pour certaines fonctions critiques, comme :

  • les feux de détresse ;
  • les clignotants ;
  • le dégivrage ;
  • les essuie-glaces.

Sans ces éléments physiques accessibles en un seul geste, les véhicules ne pourront plus prétendre à la note maximale de sécurité.

L’Europe se distingue par un parc automobile où plus de 50 % des ventes concernent les flottes (entreprises, administrations, loueurs), particulièrement sensibles aux critères de sécurité. Une mauvaise note Euro NCAP peut donc affecter directement les volumes, mais aussi faire grimper les primes d’assurance ou décourager les gestionnaires de parc.

La sécurité est ici à la fois un enjeu humain et un levier économique. Les constructeurs qui ne s’adapteront pas verront leur position commerciale fragilisée, notamment sur les marchés professionnels.

L’Euro NCAP s’appuie sur des études empiriques menées par des instituts indépendants comme ADAC ou Thatcham Research. Tous s’accordent sur le fait que les interfaces tactiles diminuent la capacité de réponse en situation de stress. Les boutons, en revanche, offrent une latence quasi nulle, car ils peuvent être activés sans regard ni navigation.

Le virage réglementaire européen impose donc une reconception des intérieurs dans un délai de moins de 18 mois, ce qui aura un impact direct sur les chaînes de design, les sous-traitants et les systèmes électroniques embarqués.

Un coût de production maîtrisé face aux enjeux de réputation

Sur le plan industriel, le retour des boutons implique un léger surcoût pour les constructeurs. Le coût additionnel est estimé à environ 90 à 100 dollars par véhicule, soit environ 92 euros. Ce montant comprend les composants physiques (interrupteurs, câblage), les interfaces logicielles adaptées et le temps de montage en usine.

Appliqué à une entreprise produisant 10 millions de véhicules par an, cela représente environ 920 millions d’euros de coût supplémentaire annuel. Ce chiffre peut sembler important, mais il reste inférieur à 1 % du prix moyen d’un véhicule (entre 25 000 et 30 000 euros pour les modèles compacts à électriques).

En comparaison, les pertes indirectes liées à un mauvais score de satisfaction client ou à une baisse du Net Promoter Score (NPS) sont bien plus dommageables. En Chine, où l’on compte plus de 100 marques de véhicules électriques, une dégradation de l’expérience utilisateur peut rapidement entraîner une chute de part de marché.

De même, un affaiblissement de la note de sécurité Euro NCAP peut réduire la valeur résiduelle des véhicules, rendant leur revente moins avantageuse pour les flottes et les particuliers. Ces impacts dépassent largement les gains économiques de la suppression de boutons physiques.

Enfin, les constructeurs ont aujourd’hui l’expérience technique pour intégrer les boutons dans une logique hybride, combinant design numérique et fonctionnalité mécanique. Il ne s’agit pas d’un retour technologique, mais d’une correction rationnelle basée sur les usages réels.

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